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L’apprentissage et l’évaluation des attitudes et des savoir-être

François-Marie GERARD

Publié dans une version légèrement différente : GERARD, F.-M. (2011), L’apprentissage et l’évaluation des attitudes et des savoir-être, in X. ROEGIERS. Curricula et apprentissages au primaire et au secondaire – La Pédagogie de l’Intégration comme cadre de réflexion et d’action, Bruxelles : De Boeck, pp. 146-150 (+ Annexe 4).

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La question de l’apprentissage et de l’évaluation des savoir-être est particulièrement complexe, surtout quand on l’aborde dans le cadre de disciplines comme les cours de religion ou de morale non confessionnelle ou quand on se situe dans des systèmes éducatifs dont les finalités sont clairement exprimées en termes d’attitudes (le goût du beau, du risque, de l’excellence, l’esprit d’initiative ou entrepreneurial…) qui se réfèrent elles-mêmes à des valeurs.

Si tout le monde sait intuitivement ce qu’est une attitude, au sens courant de conduite que l’on adopte dans des circonstances particulières, il est moins sûr qu’on puisse définir de manière claire tant ce qu’est une attitude que le savoir-être.

Si, face à une situation, un individu adopte un certain comportement qui est directement observable, penser en termes d’attitude implique qu’on suppose que le comportement adopté se réfère à une certaine attitude qui déboucherait sur des comportements cohérents dans d’autres situations. Par exemple, si un enfant partage sa collation avec un ami lors de la récréation (=comportement), on dira de lui qu’il est généreux (=attitude) en supposant que, dans d’autres circonstances, il manifestera d’autres comportements qui témoigneront de la même générosité.

En 1935, Gordon Willard Allport propose ainsi la définition suivante, acceptée encore aujourd’hui par la plupart des chercheurs : « Une attitude est un état mental et nerveux de préparation (a mental and neural state of readiness), organisé à partir de l’expérience, exerçant une influence directive ou dynamique sur les réponses de l’individu à tous les objets ou situations auxquels il est confronté. »

En 1960, Rosenberg et Hovland proposent une définition complémentaire qui s’imposera peu à peu. Pour eux, le concept d’attitude est une construction hypothétique et non une donnée brute observable. C’est un instrument conceptuel intégratif, élaboré à titre d’hypothèse pour rendre compte d’une structure relativement stable chez un individu. Cette structure admet trois composantes fondamentales :

  • une composante cognitive, et évaluative, qui se réfère à ses croyances, à ses jugements, à ses savoirs ;
  • une composante affective ou émotionnelle qui renvoie à ses sentiments favorables ou défavorables, ses émotions positives ou négatives ;
  • une composante conative ou comportementale qui se confond avec son intention d’agir, sa disposition à réagir, sa tendance à l’action.

Attitude et savoir-être sont-ils synonymes ? Globalement, oui. Les deux mots appartiennent à des typologies différentes, mais parallèles. Il y a d’une part « Connaissances – Habiletés – Attitudes – Compétences » et d’autre part « Savoirs – Savoir-faire – Savoir-être – Savoir-agir ». La compréhension la plus commune (voir notamment Raynal et Rieunier, 1997, 4e éd. 2003, pp. 327-329) de ces catégories associe le domaine cognitif aux connaissances et savoirs, le domaine psychomoteur aux habiletés et aux savoir-faire et le domaine affectif aux attitudes et aux savoir-être. Les compétences ou savoir-agir intégreraient alors le tout en nécessitant de combiner et de mobiliser des ressources issues des trois domaines.

En 1986, De Ketele a proposé – dans son article consacré à l’évaluation du savoir-être – de distinguer les différentes catégories de « savoir » selon qu’elles désignent des activités ou des contenus. Il proposait aussi de distinguer les savoir-faire cognitifs des savoir-faire pratiques (ou gestuels), les savoir-faire ne se limitant donc plus au seul domaine psychomoteur. En prolongement de cette réflexion, Gerard (2000) montre que les trois niveaux d’activités – savoir-reproduire, savoir-faire et savoir-être – peuvent s’appliquer aux trois domaines – cognitif, sensori-psycho-moteur et socio-affectif. Le savoir-être, défini comme « un savoir-faire passé par intériorisation dans l’habituel », peut dès lors être de l’ordre du cognitif (consulter spontanément un dictionnaire en cas de doute orthographique), de l’ordre du sensori-psycho-moteur (descendre rapidement un chemin de montagne) et de l’ordre du socio-affectif (manifester spontanément des marques d’écoute active lors d’un entretien). Perçu de cette manière, les savoir-être sont particulièrement importants, car ils « manifestent ce qu’est fondamentalement la personne, dans toutes ses composantes, dans sa globalité » (Gerard, 2000).

Cette approche a l’avantage

  • d’une part, de décloisonner les types d’activités puisqu’ils peuvent s’appliquer aux trois domaines, rejoignant en partie les travaux de Rosenberg et Hovland sur les composantes de l’attitude, et
  • d’autre part, d’induire une méthode pour développer les savoir-être en les travaillant d’abord en termes de savoir-reproduire (l’enfant dit « merci » quand sa maman le lui demande), puis en termes de savoir-faire (l’enfant distingue les moments où il doit dire « merci » ou une autre marque de politesse) pour qu’ils se transforment progressivement en savoir-être (l’enfant dit « merci » sans y réfléchir).

Dans toutes les sociétés actuelles, il existe un accord assez général sur la nécessité de développer des savoir-être à l’école. Parfois même, l’attente de la société vis-à-vis de l’école est trop grande à cet égard : l’école devrait pallier toutes les carences familiales ou sociales dans le développement des attitudes et celui-ci devient parfois prioritaire face aux apprentissages scolaires de base.

Néanmoins, la problématique des savoir-être pose certaines difficultés en matière d’évaluation. Ces difficultés sont non seulement techniques, mais aussi éthiques.

Difficultés méthodologiques

  • L’attitude ou le savoir-être étant par nature non observable, l’évaluation ne peut se faire que par inférence sur la base d’indicateurs ou de comportements concrets.
  • Le savoir-être n’existe que quand il se manifeste de manière spontanée. Il ne peut donc être évalué qu’en situation naturelle ou en « situation non contrainte » (De Ketele, 2010). Il est difficile, dans le cadre scolaire, d’observer les élèves en situation non contrainte, d’autant plus qu’il conviendrait de disposer de plusieurs observations indépendantes pour pouvoir éventuellement inférer l’attitude ou le savoir-être.
  • Dans l’évaluation d’une compétence nécessitant la mobilisation de plusieurs ressources, quel est le poids de la prise en compte d’un savoir-être au regard des savoirs et des savoir-faire ? Comment concrètement prendre en compte les savoir-être ?

Difficultés éthiques

  • Le savoir-être n’existe que quand il se manifeste de manière spontanée. Il ne peut donc être évalué qu’en situation naturelle ou en « situation non contrainte » (De Ketele, 2010). Cela signifie que l’élève ne doit pas savoir qu’il est évalué, sinon il manifestera vraisemblablement des « comportements attendus » et non des comportements spontanés. Peut-on cependant, dans le cadre scolaire, évaluer des élèves – surtout sur des dimensions aussi fondamentales que des savoir-être – sans qu’ils sachent qu’ils sont évalués ni sur base de quels critères ou indicateurs ?
  • Il y a certes accord sur la nécessité de développer à l’école des savoir-être. Mais un savoir-être peut-il être exigible ? N’est-il pas seulement souhaitable ? Exiger que les élèves développent et manifestent certains savoir-être, n’est-ce pas intervenir sur la personne elle-même, la formater, voire l’aliéner ? Si certains savoir-être peuvent être exigibles par nécessité sociale, comme une attitude non violente dans les relations, cela paraît moins évident pour des savoir-être comme l’esprit entrepreneurial, le goût du risque, etc.

Sur la base de ces difficultés, il est légitime de se demander si, dans le cadre de l’enseignement, il faut évaluer les savoir-être ou s’il ne faut pas se limiter à créer les conditions de leur émergence. La notion de savoir-être interroge, mais elle semble néanmoins être une entrée fructueuse pour prendre en compte l’étudiant dans sa globalité et changer le regard porté sur lui… pour donner davantage de sens à certains enseignements…

Dans cette perspective, il semble dès lors inutile d’évaluer les savoir-être de manière formelle, comme ressources. Il est important que les équipes pédagogiques puissent échanger sur les savoir-être qu’ils souhaitent développer, en mettant l’accent sur les savoir-être qui sont en lien avec des compétences (vérifier un résultat de manière spontanée, adopter un regard critique vis-à-vis d’un support, éviter les contradictions dans un écrit…).

Ces savoir-être ne devraient cependant pas être évalués de manière isolée ni même faire l’objet d’apprentissages particuliers. Il suffit de savoir

  • que les savoir-être nécessaires à l’exercice des compétences sont effectivement développés quelque part, mais toujours en relation à une tâche complexe, c’est-à-dire comme savoir-être, et non comme savoir-faire ;
  • que, globalement, le « nuage » des savoir-être se développe tout au long de la scolarité, dans le bon sens (en relation avec les valeurs du système), tant qualitativement (avec une conscience et une spontanéité de plus en plus grandes) que quantitativement (le nombre et la diversité des savoir-être).

Si néanmoins il existe au sein d’un système éducatif ou d’une équipe éducative une volonté de formaliser le développement de certains savoir-être et de les évaluer de manière spécifique, il importe – pour garantir la qualité de la prise en compte des savoir-être – de veiller au respect de quelques pistes :

  • Déterminer au sein des équipes pédagogiques un nombre limité de savoir-être à promouvoir, puis à observer et à évaluer. Cela doit permettre d’éviter une trop grande dispersion qui serait néfaste tant à l’efficacité du travail sur les savoir-être qu’à la validité de leur évaluation.
  • Chaque enseignant, dans sa discipline ou son niveau scolaire, doit décliner de manière concrète le contenu des savoir-être retenus, en les reliant à des tâches complexes.
  • Sur cette base des grilles d’observation et/ou d’évaluation peuvent être élaborées, en définissant les indicateurs qui permettront d’apprécier si le savoir-être est présent ou non.
  • Éviter de complexifier à l’extrême des grilles qui se voudraient exhaustives. Elles ne le seront pas de toute façon, mais elles doivent surtout servir de points d’entrée pour une construction didactique et pédagogique.
  • Chaque élève devrait savoir et être à même de comprendre ce sur quoi il est évalué et à quel moment, et se repérer dans la grille qui sert de support.
  • Toute grille doit s’adapter au contexte local, au public étudiant, au projet…
  • Dans la mesure du possible, l’évaluation des savoir-être devrait être collective, partagée entre plusieurs enseignants, éducateurs… Cela doit limiter les risques de trop grande subjectivité. Même outillée, l’évaluation des savoir-être s’inscrit dans une démarche herméneutique ou interprétative (De Ketele, 2006) fondée sur l’interprétation intuitive d’un certain nombre d’indices recueillis la plupart du temps de manière inconsciente. Cette démarche est de toute façon toujours présente chez les enseignants et elle se révèle souvent efficace en ce sens que les enseignants ont une bonne perception de leurs élèves. Mais elle est aussi la porte ouverte à l’arbitraire et il convient donc de l’encadrer, que ce soit par des grilles d’indicateurs ou par le contrôle social d’un jury.

Ces pistes sont possibles à mettre en œuvre, mais elles n’éliminent pas les difficultés tant techniques qu’éthiques de l’évaluation des savoir-être. C’est pourquoi on privilégiera l’utilisation des savoir-être en termes de critères, dans l’évaluation de n’importe quelle production complexe liée à la mise en œuvre d’une compétence. Un exemple simple est le critère de « Qualité de la présentation » qui est souvent utilisé, surtout à l’école primaire, comme critère de perfectionnement dans l’évaluation de compétences disciplinaires. Le fait de présenter une copie propre, exempte de ratures, avec une écriture lisible… témoigne en effet de savoir-être comme le respect de l’autre, l’exigence de propreté…

D’autres critères peuvent également relever, en tout ou en partie, de savoir-être socio-affectifs : l’utilité sociale de la production, la capacité de travailler en groupe, l’ouverture vers d’autres pensées…

Références et bibliographie

ALLPORT, G.W. (1935). Attitudes, in C. MURCHISON (Ed). A Handbook of Social Psychology (pp. 798-844). Worchester, MA: Clark University Press.
DE KETELE, J.-M. (1986). L'évaluation du savoir-être, in DE KETELE, J.M. (Ed.), L'évaluation : approche descriptive ou prescriptive, Bruxelles : De Boeck Université, pp. 179-208.
DE KETELE, J.-M. (2006). Contrôles, examens et évaluation, in J. BEILLEROT & N. MOSCONI (dir.). Traité des sciences et des pratiques de l'éducation, Paris : Dunod, pp. 407-420.
DE KETELE, J.-M. (2010). Faces visibles et cachées des classements internationaux. Une tentative de modélisation des tensions dans l’enseignement obligatoire. Revue Internationale d’Éducation de Sèvres, n°54, septembre 2010, pp. 39-49.
GERARD, F.-M. (2000). Savoir, oui… mais encore! Forum - pédagogies, mai 2000, 29-35.
RAYNAL, F. & RIEUNIER, A. (1997, 4e éd. 2003). Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, Paris : ESF éditeur.
ROEGIERS, X., GERARD, F.-M., BOUJOUADE, S. & HAÏDAR N. (2009). Dictionnaire des compétences – (Français, anglais, arabe). Beyrouth : Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur-CRDP, p. 148.
ROSENBERG, M.J. & HOVLAND, C.I. (1960). « Cognitive, affective and behavioral components of attitudes », in C.I. HOVLAND & M.J. ROSENBERG (Eds), Attitude Organization and Change, New Haven : Yale University Press.


 

 


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