Interview de Pierre Selos

Pierre Selos termine en Haute-Saône, la tournée qu'il a entreprise sur la fédération des œuvres laïques. C'est un chanteur bien connu dans le département, puisque l'an dernier déjà, il accompagnait Francesca Solleville.

Cerner la personnalité de Pierre Selos n'est pas chose aisée. L'individu est honnête, donc pas grande complexité.

Les étiquettes ne collent pas. Sous un feu de questions à bâtons ou plutôt à barreaux rompus, nous avons essayé de découvrir, sous l'écorce un peu bourrue (un peu Brassens), qui est Pierre Selos ?

— Pierre Selos, tu ou vous ?
— Tu

— La chanson pour toi, qu'est-ce que c'est ?
— Un moyen d'expression à saisir l'actualité. En ce moment, pour moi, c'est le rapport de dépendance et de force entre l'homme et l'enfant et son environnement.

— Est-ce un message ?
— Si on appelle message, une simple vérité, la chanson permet de renouveler les thèmes éternels. Alors disons plutôt un rappel.

— D'où viens-tu ?
— Je suis né à Toulouse. Ensuite, 28 déménagements avec… ou sans meubles.

— Avant la chanson ?
— Pas eu le temps de faire autre chose. Mais je me suis intéressé à une foule de choses, la chanson me permet d'exprimer.

— Un métier ?
— Est-ce un métier de respirer ? Je suis hypnotisé par l'enfance. Je m'intéresse au film non développé. Chez l'adulte, le cliché est corrigé.

— Une question de sensibilité du film ?
— Plutôt d'honnêteté du photographe. Je m'intéresse à la psychologie de l'enfant et je m'oppose aux psychologues complices du système. Tous les systèmes, toutes les idéologies ont fait la preuve de leur insuffisance. Il n'y a pas de recette éternelle.

— As-tu parfois mal au Vietnam ?
— 4 lignes dans "le vent d'Amérique". Je ne m'intéresse pas aux raisons pour lesquelles les gens se cassent la gueule. Seules les victimes m'intéressent. Je ne casse pas la croûte sur le dos des cadavres.

— Quel âge as-tu ?
— 33 ans, c'est dangereux.
— ?
— Il y a deux mille ans, on a tué un type de mon âge.

— Et la vache enragée ?
— Elle n'a pas de valeur salvatrice. On ne s'épanouit pas sur le fumier.

— Tu dis : Contester se conjugue d'abord à la forme personnelle : c'est le plus difficile au fond ?
— C'est la raison pour laquelle aucun système politique ne s'y intéresse.

— Es-tu instable ?
— Oui, aussi longtemps que je serai assis entre deux chaises, instable tant que les institutions ne me satisferont pas.

— Où vis-tu habituellement ?
— J'ai trouvé un toit à Paris. Mais je dors sur la moquette. Elle était là avant moi.
— Au "Nord", tu ne dors pas sur la moquette ?
— Puisque le lit existe, je m'en sers. Le principal est de ne pas s'imposer les objets.

— L'avenir ?
— C'est trouver les moyens de le construire.
— Le bonheur ?
— C'est l'addition des petits détails tous les jours et non la retraite à 60 berges.

— Question de Gérard Varin de la FOL : "Tu crois à l'éducation des adultes ?"
— Non. Pour eux, les carottes sont cuites. La première aliénation chez l'enfant, c'est "on touche avec les yeux". À quinze ans, c'est déjà fichu.
— La famille est répressive, donc appauvrissante ?
— La plus grande pauvreté, c'est l'absence de famille, ni affectivité, ni agressivité : le désert.

— Le drapeau noir ?
— Ce n'est pas salissant.
— ?
— Il paraît (depuis peu) que je suis anarchiste… Mais écrire sur les murs à Besançon "Fédération anarchiste" est une contradiction !

Non, vraiment, ni Ferré, ni Ferrat, ni Brassens… Pierre Selos. Tout simplement.

("Est-Républicain", 3-6-1972)

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